jeudi 17 décembre 2020

« Ce pays est à l'ancre » HERVE MICOLET, LA LETTRE D'ETE

Alourdissement de l'atmosphère, pénible saison s'il en est. Saison pleine. L'été. Ce qu'Hervé Micolet entend faire, c'est se tenir au centre de « l'idée nue d'un paysage et d'une heure qui passe ». Dans ce recueil aux portes du délire mais qui n'y entre jamais vraiment, donner à l'été juste ce qu'il faut de froideur pour pouvoir en supporter la dimension.

Forcément, cela se fera dans un silence et un vide assez impénétrable pour s'y perdre. Le décor est brisé, archaïque et inadapté, façonné du « manque d'âme, ou manque d'humanité » qui envahit notre sensibilité. La campagne et ses fermes, évidemment plus hostile qu'un environnement comme la cité, créée à notre image et qui, l'été, accentue ses contours. « Ce pays est à l'ancre », soudé au sol, arrimé, déprimé. C'est aussi cette température qui ne baisse pas, même lorsque le soleil se couche, et l'auteur qui s'évanouit de nuit comme de jour, laissant la torpeur prendre possession de sa carcasse mortifiée. Cela « ressemble fort à cet encerclement du dernier bastion de l'être ». Enfiévré comme le stylite sur son pylône, on dirait qu'on ne peut échapper à aucun rayon. Reste le rêve pour s'évader dans un monde moins écrasant. 

Pour autant, tant que la fenêtre reste disponible pour s'y accouder dans l'observation alanguie des phénomènes, la situation demeure viable. Elle ouvre vers « une autre rive », et, chaleur aidant, s'ouvre « ce « troisième œil » tant vanté qui saurait percevoir l'infime trait, la nuance impensable, la profondeur d'une habitation ou le chiffre d'or d'un paysage familier. » Plaisir rare de l'esthète, du spectateur scrutateur des singularités, que de s'étourdir de la sorte, à la manière, cette fois d'un fakir, dans un exercice d'oubli de soi, d'éloignement de la douleur. Exercice d'endurance au sens premier du terme, d'où naît une certaine forme de stimulation dans l'immobilité, thérapie de l'ascète, quête du bonheur. On le sait, le dolorisme tend à guider vers la libération spirituelle. 

De cette joie douce qui finit par inonder le cours de la Lettre, on dirait que l'auteur ne se rend pas compte. Il prétend s'acclimater tant bien que mal à la lourde ambiance estivale, sans réaliser que son regard s'emprunte d'une poésie plus gentille à mesure que le recueil avance. Ainsi, il finit par découvrir de son lieu de villégiature « l'endroit le mieux orienté du versant » où « trois murs de pisé encordés de lierre s'effilochent, et resplendissent. » Ailleurs, ce sont « (l)es flammes qui s'élèvent en dessinant des hippocampes rouges et noirs ». Bien sûr, l'été se termine me direz-vous ; mais passant ainsi, il ne laisse pas que d'indélicates cicatrices. Pour la peine endurée, nous sommes invités à célébrer le fait que « (p)lusieurs siècles de terre brutale remontent d'un labour, la présence d'un arbre devient intense, un nuage tient davantage de place sur l'horizon », et prendre acte de la soif millénaire de nos défunts engloutis. C'est que l'été, c'est une morte saison. 


PIERRE ANDREANI


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