mardi 13 octobre 2020

« L'effroyable matière », THIERRY METZ, ENTRE L'EAU ET LA FEUILLE

Le mot comme un objet qu'on manipule en passant, sur la table. Objets qui donnent à dire, « peut-être comme le galet / ou la roue / une meule ». Parmi les poètes de l'épure, Thierry Metz a une place de choix : il écrit directement sur le motif. Ses journées, il les passe à écorner une matière aussi dure que la langue. Metz gagne sa vie en tant que manœuvre. Le soir, il consigne, patiemment, ce qui murmure en lui, au plus près. Relevant très vite sa plume, il crée de ces espaces fatals qui soulignent la présence de la « matière noire du livre ».

Ce sont les mots, les signes qui l'obsèdent. Comme un refuge au sein duquel le deuil serait plus doux. Thierry a perdu un enfant, dans un accident de voiture, le jour même où il recevait le Prix Voronca, « Écrire / ayant vu mort / l'enfant / n'est plus écrire ». Le destin frappe, ne pardonne pas. Au delà de ce sanctuaire que définit la page blanche, « Quelqu'un n'est plus / à sa façon / dans le lieu étranger à l'enclos / Non pas qu'il soit mort / mais sa parole / face au vent / n'est que vent. » Il ressort de la lecture du recueil une force contenue mais vivace. Tel un moine-ouvrier, celui qui se définissait « homme-taupe », se recueille, il susurre, retient ses coups sur la feuille, comme s'il fallait caresser la langue pour évoquer le miracle de l'existence.

Si le travail de la langue chez Thierry Metz n'est qu'une sorte de polissage vain, c'est aussi qu'il faut « (…) marteler / l'objet inutile / mais laborieux / imprononçable ». Un travail auquel il faut consacrer toute son énergie car « Si le mot n'est pas / écriture / il n'est pas parlant / mais réflexe. » Il n'aime pas la profusion. En bon économe, il laisse des blancs inonder les pages de son recueil qu'il parsème de pattes de mouches piquées au vif. Une écriture à la fois frugale et hyper-précise, proposant un double attachement à la sobriété et à l'exhaustivité. Car ce dont on se contente n'est pas moins essentiel.

Celui qui écrira plus tard : « J'écris pour recommencer. », n'en finit plus d'examiner son rapport au texte. D'une manière névrotique, il réintègre les mêmes motifs, à la recherche d'une sortie, un échappatoire : « s'ouvrir / et disparaître. / Dehors. » Ayons toujours en tête quand nous le lisons, le portrait de cet homme, son regard, ses yeux fixes, son air à la fois licencieux et sage, sa chemise ouverte et rentrée dans le pantalon, la fleur à la boutonnière. Et puis le front interrogateur, ce visage crispé, qui laisse entrevoir la personnalité d'un homme tourmenté, en quête vérité. Comment résoudre l'énigme ? Probablement, ne s'agit-il là que d'un examen des limites. De la poursuite d'un impossible pour cette force de la nature fauché en plein par la mort, bousillé par la bouteille, ligoté par la perte, et qui n'en reviendra jamais. Thierry Metz s'est donné la mort le 16 avril 1997, à l’Hôpital psychiatrique de Cadillac en Gironde.

La poésie de Thierry Metz, toute en cahots poncés, souligne l'inanité de l'existence, l'incapacité pour l'homme d'accéder au sens profond des phénomènes qui le traversent, aussi bien que des objets qui l'entoure.

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