En somme, les jeux étaient faits d’avance. Un être un peu tourmenté, dont l’esprit s’agite sans cesse en quête de réponse, ne sera jamais insensible au charme d’une jeune créature dont la vie entière est un leurre et qui semble posséder la clef ultime révélant le secret de l’existence, avec aisance et un certain panache. Il reconnaît la femme de sa vie : « une monture / parfaite / pour une chute / à répétition » Succube intransigeante, elle va et vient au gré de ses envies, sans que jamais l’on ne sache où elle se cache ni ce qu’elle cache. Au fond de son cerveau, un agenda tout personnel, des objectifs, une politique de la relation. Un travail de professionnelle dont l’issue sera fatale. Alors, notre poète se compromet « à coups de déclarations d’amour / mimées avec des ombres / et de poèmes plagiés / sur le soleil des autres » puisqu’il veut donner le change, lui qui, semble-t-il, reçoit tant de son aimée. C’est la rétention de l’homme pétri d’admiration contre l’évaporation, l’éparpillement de celle pour qui le temps manque pour profiter des avantages de la vie. Alors forcément, ça tourne mal.
Déjà l’amour est difficile, on devient un auxiliaire de passion : « J’étais / le perroquet empaillé / de plus / quelque part au fond du stock. » Une proie de plus, destinée à ne pas durer plus que les autres et qui restera loyal, probablement jusqu’à s’humilier dans la mort. En passant à travers d’étranges lieux symboliques où le putride le dispute à l’immonde. Il y a quelque chose de pourri au royaume de l’Amour. L’éconduit cherche tout de même à se rattraper aux branches et dans un exercice d’admiration authentique, rend hommage à sa tortionnaire. C’est qu’elle a d’abord été espoir. Espoir d’aller mieux, de guérir : « Je marchais mieux de l’avoir en tête (...) » N’était-ce pas déjà un péché d’orgueil que de se croire autorisé à gravir un tel monstre de promesses ? « C’était trop, cette montagne inusable (...) » Parfois l’on ne mérite même pas ce que l’on projette chez l’autre, et c’est dans la dégradation qu’on s’en émeut, naturellement.
À l’heure où la société entière est soumise au Happy management (et le milieu littéraire ne fait pas exception), où l’on se refuse à poser la question d’un métaphysique véritable, Aurélien Lemant, qui doit être inconscient, nous livre un recueil de souffrance et de culpabilité. « Je te glacerai par amour », écrit-il. Voilà qui est fait.
PIERRE ANDREANI
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