mardi 6 avril 2021

« Oreille absolue de la nuit » CONFINES DANS LE NOIR, MURIELLE COMPERE-DEMARCY

Tout commence par une « Alerte », où les hashtags (#) sont remplacés par des signes d’inégalité (« ≠restez chez vous / (…) ≠libérez-vous »). Le virus ainsi entre dans les foyers de France et de Navarre. Et cela fait un an que ça dure. Un an que nous marchons au pas de l’oie, sans sourciller ou presque, sans trop comprendre non plus. Un an que beaucoup ont parlé pour ne pas dire grand-chose. Quelle place dès lors pour la parole poétique ? Dans un décor devenu impraticable, invoquant par ailleurs le « respir » dévoré, licence plantée dans une somme d’hexamètres, l’auteure de ce long poème débite donc, sans reprendre son souffle. 

C’est l’arrêt de tout qui enclenche le verbe, tandis que : « Dehors exsangue dedans / Soldats du sang sur nos poumons / Ventilent la lumière, crosse / Du sang torche mourante, cœur / A l’envers, cluster de maux » Murielle Compère-Demarcy avance dans son texte comme dans un champ de ruines surchargé de poussière. Le ciel gris s’est abattu pour longtemps sur les hommes, le printemps nous échappera. Dans ce grand vide, penser la période n’est pas simple, et tremper sa plume dans « L’encrier du désert (...) », un crève-cœur. La poétesse le note, c’est un climat de suspicion qui s’instille : « Et l’encre infestée, eh ! Poète / Tes mots n’y ont-ils pas trempé, » Mais les pages sont plutôt tachées de sang,. N'oublions pas que selon les mots de l’« Alerte » : nous sommes en guerre. Tous les aspects de la vie se retrouvent infectés par le virus qui s’infiltre dans les poumons, mais aussi dans les têtes.

On se dit qu’on n’en sortira jamais ou du moins pas indemne, qu’on ne retrouvera pas non plus notre liberté. Alors on crie, on s’abandonne à la terreur : « – Nous appartiendrons nous encore ? / La peur grignote à l’intérieur. » Dans le même temps, on lance des appels à la révolte : « SORTIR REVIVRE (...) » Les émotions s’entremêlent, dans la plus grande des confusions comme si on assistait, en fait, à une crise d’épilepsie planétaire. 

Qui sait encore comment se comporter et quels choix faire ? « La ruche des hommes vrombit », c’est tout ce qu’elle sait faire, « Et l’Affaire des masques — Farce ! »… Mais tragédie aussi quand on pense à « Maman morte sans deuil sans fleur ». Épuisés, masqués, les individualités se dissolvent, il reste à chacun juste assez de force pour subir. On s’étonne d’ailleurs de voir si peu de résistance. Tout grince, lâche prise, et glisse. Le poète, « Oreille absolue de la nuit », cherchera longtemps le rayon de soleil dans cette séquence historique sans histoires. Ce grand néant dépouillé. Stérile époque pour moisson de mots… Une certitude, « Personne n’était préparé / A être c/o/u/p/é de la vie. »

En quelques pages aussi nerveuses que rêveuses, Murielle Compère-Demarcy écrit notre égarement et les formes que pourraient prendre le désir de revivre. Sans céder aux sirènes du recueillement, sans établir de thèse sur les bénéfices du confinement, dans l’émotion brute, entre lamentation et ressentiment. 

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Pierre ANDREANI

1 commentaire:

  1. Merci, Pierre, pour cet article. C'est toujours aussi bon et aussi bien amené, avec force extraits de l'ouvrage. Chapeau!

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