mercredi 28 juillet 2021

« L’essentiel vit dans le sang. » JEAN-PAUL GAVARD-PERRET, FIRMAMAN, éditions Sans Escale, 2021

L’écriture comme sacerdoce, Duras disait que c'était « une maladie dont on ne se remet pas ». Jean-Paul Gavard-Perret l’admet d’emblée, les mots le dévorent. Comme on s’étire dans ses draps, les phrases tombent du lit, pleines encore de l’essence des rêves, et des fantasmes.

Dans un élan rapide, le poète déverse ses visions, depuis le seins de la mère jusqu’à cette silhouette encore enfantine qu’il poursuit de ses désirs ; chairs en bagarre et dislocation, les corps chutent dans la lutte. Pour renouer avec l’origine, par l’entremise du néologisme cher à l’auteur : « s’épousent et s’époussexent les espaces, s’ouvre le tremblement d’avant. » Ainsi, la femme confesse à son amant le décompte de ses culottes et leurs couleurs et leur fonction sacrée, ainsi elle donne le fond de sa pensée à l’homme-bouc dont les naseaux refoulent et les sabots labourent d’impatience : « Homme (...) je te sale la queue et le cul, je les attife de mes hardes. Ton démon je l’excrète par mes larmes. » comme une manière de défense dans ce jeu de l'amour si souvent inégal.

« L’essentiel vit dans le sang. », déclare le poète et c’est par la mère dont la vie est reliée à la notre que nous aimons, que nous souffrons. Firmaman. Il nait de cette relation particulière quelques morceaux de bravoure : « Je te taloche, je te bétonne, onctueuse mère. Je me devine déjà dans la géométrie de ton triangle. Ma méritante, ma chaude amante et ton goût pour ton petit bonhomme que tu laisses descendre sous toi. » Telle mère, tel fils ! dans une valse compliquée, que seule l’écriture permet d’aborder, sans jamais savoir si ce qu’on dit est vrai ou juste ou si l’on se trompe en essayant. Il faudra donc continuer à fouiller, sans relâche, dans les souvenirs d’enfance, d’adolescence, Pépette l’anglaise et le Lavomatic, et enfin Esmeralda : « Venez, je suis la magicienne qu’il vous faut. » Un philtre de mère, c’est la renaissance, dans un « coulis de fraise », un mère nouvelle dont la main « prompte à corriger est devenue branleuse ».

Œdipe est caché dans l’armoire lorsque sa mère rentre et se demande si elle n’est pas la femme de sa vie, elle qui l’a « chié », de la fatalité à la fantaisie, il n’y a qu’un pas. Et ça ne s’arrête pas là, puisqu’on descend maintenant à la cave, devant le miroir, avec les marquises, là où le désir pourrait devenir monstre. C’est une épopée à couper la chique, aussi bien sur le plan formel que sur le fond, d’une impudeur totale qui rappelle parfois l’Arrabal du Funambule de Dieu. Jean-Paul Gavard-Perret aiguise ses mots à la lueur de la chandelle « débauche », tout en innocence, et surtout, sans crier « gare ! »


Pierre Andreani