vendredi 15 octobre 2021

« D'être en ce monde » - ALEXANDRE BLAINEAU - ed. milagro, 2021 (préface)

Il est de ces instants suspendus où l’on se voit flotter, les deux pieds dans le sable, remuant sans but. Impavide malgré tout. Envahi de questions qui ne trouvent pas toujours leurs réponses, noyé entre ces parenthèses qui ne se referment jamais. C’est dans cet espace que la poésie tente d’émerger, sur la feuille et dans l’interstice de l’existant, de ce qui subsiste et ce qui frôle, en alignant les hypothèses, incertaine.

Cette interrogation, qu’il n’est pas utile de formuler, originelle en ce qu’elle ne peut qu’effrayer, confuse en ce qu’elle ne peut qu’osciller, le poète la fait sienne. Il doit remonter le temps pour donner l’assaut de ce continent vierge. Il doit dans le même temps écorner l’auroch et se passer de la pommade sur les plaies. Exploration adamique ou dantesque des commencements ?

D’autres écrivains, calligraphes, peintres courent sur les pages de ce recueil. Ils agacent de leurs doigts gourds les diversités, jettent leurs descriptions sur le papier. À leur manière, ils observent et tentent de dire. Alexandre Blaineau entre en dialogue avec eux, sortes de savants perdus, mesurant de leurs mains les dimensions du Monde. 

À travers tant d’indices qui nous sont généreusement offerts, qui n’a jamais cru percevoir la porte d’entrée vers la grande Histoire ? L’histoire de : « (c)ette vallée devenue plaine / Vaste comme la main d’un dieu (...) » ?

À la vue, à l’ouïe, au toucher de tant d’insolites émanations, l'évocation de sensations suspendues au-dessus des corps et d'un bout à l'autre de la Terre, comment ne pas s’éprendre d’énigmes, et comment ne pas entrer en religion ? Animiste comme le premier des hommes, Alexandre Blaineau se livre à une exploration des aspérités géologiques, de ce qui dépasse. Manifestations optiques, sensations vagues, telle coïncidence, sublimés par la magie du langage. Une ambition, celle de cueillir la vie à son berceau, par l’entremise d’une écriture précise, une écriture de l’effleurement des phénomènes. 

Pierre Andreani

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