D’abord, rire en poésie, ce n’est pas si fréquent. On se demande s’il le fait exprès d’ailleurs, l’auteur, d'être marrant. Peut-être pas, c’est tellement bien fait qu’on dirait du comique involontaire. Un humour désabusé, doux et fataliste comme dans ce morceau d’anthologie : « Je suis Suisse (bon sang!) je suis sans muse / C’est comme ça c’est / Tombé à plat ».
Parfois on retrouve quelque chose du chansonnier Gainsbourg, quand il écrit : « ils rigolent sur youtube / c’est rigolo / y’a des rigoles entières / de rires c’est ub- / uesque mais où-est-ce que / ça part tout ça ? ». On se demande quel Alain Chamfort (ou Brigitte Bardot) pourrait mettre cette complainte en musique (mélancolique, bien entendu !). Est-ce à dire que Paul Fréval considère la poésie par dessus la jambe, comme un art mineur ? Ainsi qu’il l’affirme en ouverture : « Le poète est une loque / Un type pas clean / Un être pas in / Une merde sociale / Totalement out » ? D’une certaine manière c’est exact. Qui pour lui donner complètement tort ?
D’un autre côté, on retrouve des poèmes d’une implacable efficacité lyrique. Preuve que Fréval n’aime pas se limiter (c’est le moins que l’on puisse dire). Ça parle d’amours perdus, d’instants suspendus : « Elle portait carrément des airs bleus / Sa marinière ample me dévêtit », de maîtresses nombreuses, un bas-ventre hyperactif et une sexualité parfois misérable : « Je suis un peu dans les vapes / Je cherche une fille sur Google Map ». Autant d’hétérogénéités qui forment pourtant un bien bel ensemble.
On loge au plus près de ce que l’auteur vit et ressent. C’est comme un journal en pointillés truffé d’une résignation amusée où à chaque ligne perce la sincérité. Un enseignement : l’authenticité et une certaine forme de candeur ouvre la voie au beau. Quoi qu’il en sorte, c’est comme une prouesse d’équilibriste. Ça ne peut jamais être mauvais, même s’il chute. Pour écrire tout ce que l’on pense, encore faut-il bien penser. Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, comme disait l’autre, le reste est une affaire de personne.
PIERRE ANDREANI
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