Aimerait-on vraiment ça, vivre dans l'absolu, le néant, les possibles ? Instinctuel comme un animal ? Rien de moins sûr ; si nous n'y parvenons pas, c'est peut-être que nous n'en sommes pas capable. Très vite, la lutte devient insupportable ; et voilà qu'on demande, pour se départir un peu de cette recherche d'absolu, la grammaire rigide du Visage : « Le repas du soir à prévoir. Les courses à faire. Le prix du carburant. (…) J'y vais à fond. Ça tient la gueule à distance et ça délivre. » Mais les matins succédant aux matins, l'interrogation persiste. La nuit aussi, nous dit l'auteure, ça revient. C'est que c'est « dormant et non-dormant ». Tout à la fois. Ou plutôt ça vient de l'un pour se transvaser dans l'autre ; depuis l'arrière-monde du rêve où sont tapies tant d'étrangetés, jusqu'au moment où se lève un jour plein. Un jour plein de mails, de courses, de choses du dehors ; de ces choses qui éloignent la gueule, qui peureuse, rentre dans son terrier. Peureuse ou secrète ? La gueule est un Ça qui va-et-vient ; une ombre amoureuse que l'on croit devoir apprivoiser : « Que la gueule sorte du corps ». Si l'on finit « (a)ffolée comme une poule affolée sur le billot » est-ce parce qu'atteindre cet état d'âme relève de la chimère pure et simple ?... Encore raté. Maintenant, il faut reprendre à zéro. Y aller doucement avec la gueule, tout en assurant ses arrières. L'auteure avoue sa faiblesse, « ce que (elle a) manqué d'amour lorsqu'elle se dressait trop forte pour être contenue dans le corps. »
C'est un journal de combat que nous livre Véronique Daine, jour après jour, celui d'une âme aux prises avec elle-même dans une lutte probablement sans fin : à la poursuite d'un simulacre qui semble plus vrai que nature, mais qui avance toujours d'un pas quand nous croyons l'avoir saisi, comme un nuage de fumée. Une obsession certainement, tant et si bien qu'on en vient à lui opposer la vie dans sa réalité la plus crue, qu'on accablera de tous les maux, une vie sans saveur ? Car la gueule c'est aussi l’Éros, « (s)i mâle parfois la gueule. Si érigée éreintante. », comme si elle réclamait à cor et à cri que l'on s'occupe d'elle, comme si c'était elle qui nous chassait et non l'inverse. Fatigante, la gueule, « rien d'autre que cette masse sourde » qui cogne et contre laquelle on voudrait bien se prémunir en fin de compte. Harcelante, cauchemardesque, terrible comme tout miroir déformant.
PIERRE ANDREANI
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