vendredi 23 octobre 2020

« On nage dans le chant », CAMILLE SANSTERRE, NOUVELLES DU TEMPS

Vous souvenez-vous de la préhistoire de votre existence ? De ce qui fit tout basculer ? Et de comment vous avez survécu ? Dans la mythologie personnelle de Camille Sansterre, il y a l'enfance, puis il y a le haut-mal et enfin les livres qui viennent palier la perte de la vraie vie dont il ne reste d'autres traces qu'une « plainte dans la gorge ». Une tragédie inscrite et qui coule « goutte à goutte, rosée du sexe créateur », « mémoire d'avant le souvenir », préliminaire à toute introspection.

D'une dimension toute ontologique, le recueil, primé par la Ville de Saint-Lô en 2004 et publié chez Rougerie deux ans plus tard, nous propose de retracer l'histoire d'un combat, celui d'une âme abîmée à la recherche désespérée de son origine. À défaut de trouver, dans l'existence commune, une écho quelconque à sa quête, c'est dans le livre, dans la parole retranscrite, que l'auteure nous invite à nous plonger. Elle l'affirme : « On nage dans le chant, à gestes lents, ignorant les rives », une évocation de la vie intra-utérine ? On le comprend à cet instant, l'irréalité de l'assertion ne pourra que nous amener à la compréhension finale. 

Camille Sansterre est habitée par son hypothèse : « Ranimer la dépouille autant que c'est possible ». Il ne suffit pas de s'y mouvoir dans ce décor onirique. « On ouvre d'un coup d'épaule des portes dans l'eau », et on se construit à la suite tout un chapelet de sensations résurgentes. Le recueil en est la preuve, l'écriture est ténue et l'image puissante. C'est le témoignage saisissant d'une expérience profonde : comment survivre « mi-homme, mi femme pour dire en apnée les extrêmes tensions » ? La réponse est dans la question, il s'agit là d'habiter la totalité, tout en s'appropriant l'essentiel. Dans le silence de la page blanche (« Page livide »), l'auteure s'explore sans aisance, mais avec acuité, « débarrassé du phrasé léthargique ». S'il y a une théorie, il y a aussi une méthode, et tout d'abord le constat : « Il y a un livre abandonné à tous les vents, là-haut sur la colline ». Comme s'il était du ressort de chacun de s'écrire, à la faveur d'un souffle qui passe, au double sens du mot inspiration. 

Méthode toujours, ou même exhortation : « Parle à la source encore, la source te demande », et cette obsession qui revient pour la ligne de fuite, le point de départ, la cause des causes et son appel incessant, ce harcèlement. Réduire la vie à sa plus simple expression. Oripeaux qui blessent, scories pesantes, rien de tout cela ne trouve sa place dans le recueil de Camille Sansterre, ni même pour en évoquer les aspects regrettables. Le monde est mort-né. Plus rien n'existe sinon « Caresser d'une mystique violente le fruit velu du jour ».

Alors, de ce désir de pureté, de retour au temps d'avant le haut-mal, la poétesse chante la douleur et la nostalgie. Avec autant de mélancolie que de plaisir, on suit l'inquiétude de cette voix qui nous porte et nous enjoint à nous souvenir, par l'intermédiaire du texte, lu ou écrit, du temps de l'intouché. En face, c'est le naufrage d'un monde mesquin et ordinaire, qui ne peut plus convaincre ou intéresser quiconque.


PIERRE ANDREANI

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